Ce matin, le froid me décourage. La bise me retient au chaud, et les chiennes piaffent d'impatience en attendant leur promenade matinale. Gayanne s'agite, montre régulièrement son harnais et revient vers moi en me regardant avec insistance. Même si elles ne sont restées qu'un court instant au jardin, elles veulent un peu plus de cette liberté que nous recherchons tous. Le froid les anime, la bise les excite un peu comme le vent qui amène cette gaîté sauvage aux chevaux.

Mascarpone est pelotté au soleil derrière la fenêtre, Mimi (de son vrai nom Pipi Langstrumpf ou Fifi Brindacier) attend patiemment que le feu s'allume. Il restera de longues heures à le regarder et finira par s'enrouler dans la nonette qui jouxte le poêle.
Je vais y aller, mais avant je vais puiser dans un bon café brûlant le courage qui me manque, et écrire ces quelques lignes en guise d'excuse. Gayanne s'est remise sur son lit mais reste vigilante à tous mes gestes, Lumina quant à elle est retournée se coucher depuis longtemps; elle accepte mes faiblesses avec philosophie ;-)
Voilà, j'ai enlevé mes gants de boxe, écharpes, vestes, pantalons de survie, cache-nez et autres manteaux. Mascarpone a profité de notre absence pour régurgiter son repas contre la fenêtre. Vive le nettoyge, j'adore ça !
La cheminée m'accueille aimablement, et je suis bien au chaud à siroter un thé pour continuer à écrire.
Ce matin, j'ai choisi Bruyère. Cette forêt est l'une de mes préférées. Nous avons emprunté le chemin des fées; c'est un petit chemin de biche exposé plein sud, qui part un peu sur la droite de la place de parc, en dessous de la crête de la colline, donc bien à l'abri de la bise. J'ai été un peu déçue, parce qu'un chien était déjà passé par là et avait entrepris des travaux de terrassement tout au long de ce magnifique sentier. Du fait que j'y passe plusieurs fois par semaines depuis des années, j'ai pris l'habitude d'enlever les branches qui l'encombrent et de remettre en place les grosses plaques de mousse épaisse que certains chiens arrachent en creusant leur passage vers le centre de la terre, à la recherche de quelques taupes et souris. Ce sentier a donc gardé, au fil du temps, cet air reposant des passages entre les arbres qui calment notre progression. Il y a une souche où je m'assieds, sauf par temps de pluie, pour admirer la forêt qui s'étend à mes pieds. C'est le seul endroit où j'ai effectivement trouvé des plans de bruyère sauvage dans cette partie de la forêt; la pente est raide, et j'ai dénombré sur un petit espace pas moins de 6 arbres différents, pins, merisier, sapin, hêtre, chêne et d'autres que je ne connais pas. C'est là que je prépare ma journée à venir, que je médite le sens de la vie et la beauté de notre terre. Arrivée à cet endroit, Lumina part en avant et garde le passage vers les falaises de molasses vers le sud, Gayanne reste un peu en arrière et garde le passage qui repart vers le petit défilé de molasse au nord. Elles patientent quelques minutes puis commencent à vivre leur vie de chien, reniflant le sol à la recherche de traces de toutes sortes, mais vigilante à la moindre approche. Ce matin je n'avais pas le coeur à m'arrêter, le sentier étant un chantier; je me suis tout de même assise sur "ma" souche lorsqu'une forte odeur d'urine humaine me chatouilla les narines et me sortit assez rapidement de ma rêverie. Nous n'avons pas tous les mêmes valeurs, et il y a des jours où c'est plus difficile à accepter que d'autres. Je m'assiérai à nouveau près des bruyères pour méditer, lorsque la nature aura rebouché les trous et nettoyé "ma" souche, si vous me pardonnez cet élan possessif qui a animé une partie de ma promenade du matin.

Un peu plus loin, dans la forêt de la commune de Corcelles, toujours à Bruyère, j'ai relevé des traces de chevreuil sur une immense flaque gelée, bientôt brouillées par le passages des chiens.
